Dans le troisième quartier du vingtième siècle naît Agnès Baillon à la Ferté-Milon, petite ville de Picardie où en mille quatre cents et quelque, un prince d’Orléans a voulu construire le plus grand château du monde qui n’est toujours pas fini…
Fille d’artistes désargentés, père maître-verrier, mère artiste textile, la petite Agnès fréquente l’école où jadis Racine, qui apparemment a bien mené son affaire, avait appris à écrire.
Dans ce monde à la dérive il y a parfois une justice: les Baillon ont finalement réussi à gagner pas mal de sous et ont acheté sur le Larzac un fabuleux relais de chasse aux allures de château fort.
Dans la patrie des bagarres sans fin et des contestataires de tout poil, Agnès Baillon, petite fille aux cheveux d’or et aux yeux vert-bleu -mer, s’est forgé un caractère doux mais ferme et a appris à accepter les choses comme elles viennent.
Comme elle n’avait pas trop le choix, Agnès Baillon fabrique elle-même ses propres poupées et cette marotte ne l’a jamais quittée.
Puisque « fils de poisson sait nager », Agnès elle aussi a voulu être artiste : oui mais, lui disent ses parents à l’unisson, forts de leurs expériences : en dehors de Paris point de salut.
Alors, Agnès Baillon fait son baluchon, prend le chemin de la capitale, et pour faire les choses comme il faut, fréquente l’Ecole des Beaux Arts.
Quelques années plus tard, un tas de vieux messieurs, pas très bien habillés et un peu négligés, lui donnent avec solennité un papier.
Maintenant qu’elle a le droit de peindre, voilà qu’elle se met à sculpter : Des poupées, des poupées bien sûr, des poupées rose-dragée que l’on a envie de sucer, de mastiquer, pour qu’elles disparaissent vite et arrêtent de nous regarder comme ça, de nous déranger.
Le monde n’est pas parfait, tout le monde le sait, et les traumatisants souvenirs d’un petit voisin handicapé, regardé au désespoir de ses parents comme un extraterrestre par les gens qui le croisaient, hantent toujours l’esprit d’Agnès Baillon dont nous sommes les témoins impuissants de la détresse.
Ces personnages chargés de vie, aux regards inquiets, aux cris sourds, animent cette matière, la pâte qu’Agnès Baillon utilise d’abord de couleur rose-dragée et plus tard de couleur blanche-albâtre.
Certaines de ces pièces ont été fondues en bronze.
Les sculptures en bronze sont patinées en blanc-nuage par le fondeur et rehaussés à la peinture à l’huile par Agnès Baillon, au désespoir des amateurs de bronze plus sensibles aux matières qu’à l’esprit.
L’esprit, voilà le vrai sens des « poupées » d’Agnès Baillon, faites comme d’une brume fugitive, êtres désincarnés, mémoires d’une révolte d’enfant à la cruauté, hommage à l’innocence blessée .
Antonio Saint Silvestre
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