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Forces discrètes  
 

D’abord il y a Jane, Je la connais bien, elle vit chez moi. Elle esquisse un mouvement léger, l’air de balayer le vent : « Allez, allez, circulez. » Simple, nue, un carré bien découpé. Elle est campée, Jane, tout de bronze. Elle affiche une douce indifférence au monde.  
  
Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ces petits nouveaux dans la Galerie ? Des jeunots, yeux rêveurs, joues pastel crayeux et rebondies. L’un se plie en quatre, lové dans sa cachette de bois ; l’autre, se poste des heures à la fenêtre… Et celle-là assise devant sa 
Cabane de réflexion, 
qui se prend la tête entre les mains, le regard perdu. Que cherchent-ils, à quoi songent-ils ?  
  
Ton univers est doux, Agnès, doux et flou. Les êtres apparaissent… puis disparaissent sans bruit. Dedans, dehors, dedans. Tu t’es bien amusée à mettre tout ce petit monde en boîte.  
 
Il y a ces deux garçons devant la maison aux murs polis, le grand protège le petit, la maison les protège. Et cette femme, en céramique, pommettes roses, devant sa 
Cabine de plage
. Elle profite du bon air, mais elle peut se retirer dans ses pénates si elle veut…   
  
Trois murs, une fenêtre, un cadre, ça donne envie de retomber en enfance ces petites maisons. Tout un village, avec ses dédales, ses points de vue. On peut se cacher, espionner, croiser un regard à la dérobée…. 
 
C’est la première chose que tu peins, le regard, à la fois limpide et brouillé, précis et hagard, clair et suffisamment indéterminé pour y accrocher l’expression qui nous va, l’état du moment, triste, mélancolique, joyeux. Un tour de force. Dans ta série de 
Yeux – 
miniature, tu ne présentes que ça. Suivez le regard…  
  
Dans ton œuvre, l’instant est toujours délicat, sur le fil.   
  
Une 
Fillette,
 bouille ronde et macaron de chaque côté, sourire mutin. Chut, l’oiseau posé sur son épaule pourrait bien s’envoler.  
Deux personnages sont debout, Ils avancent l’un vers l’autre, hésitent, chancellent, 
Première rencontre
.   
 
Voilà que débarque le 
Groupe de nageuses ! 
Dix-huit femmes, modelées, patinées et gentiment alignées pour la photo. En tunique ou maillot, elles montrent la blancheur de leur peau jusqu’à la transparence, les veines, tu sais si bien donner vie aux corps. L’une fait un coucou, elle est drôle. Petit grain de folie. 
 
L’eau n’est jamais très loin dans ton imaginaire. Tes personnages semblent dilués. Passés sous le robinet les chagrins et souffrances… C’est mieux ainsi. Tu rajoutes une lichette de matière, tu lisses, tu frottes, encore une touche de peinture aquarellée (tu as une formation de peintre), tu frottes… Il y a dans ces traits indécis quelque chose qui attire, comme le fond de la piscine, quelque chose d’impossible à sonder : quel âge ont-ils ? D’où viennent-ils ? Vont-ils rire ou pleurer ? Comme je te connais, je pense qu’ils vont rire…   
  
Place à une championne ! Ciselée, noircie, majestueuse avec ses éclats de rouille vibrants comme l’une de ces splendeurs de la Rome antique que tu as vues au Louvre. Dans un premier temps, tu l’avais appelée 
Nageuse primée
. Et puis tu as rectifié, avec malice : « C’est trop prétentieux ! » Pas de grand plongeon qui fait mousser. Elle a peut-être connu son heure de gloire aux Jeux olympiques mais le temps a passé. Ta déesse à toi a la victoire modeste. Reste simplement 
Le Geste… 
  
 
Le Geste, Un pas discret, Premier pas,
 
Première rencontre, L’Attente
… Peu de mots – tu es sculptrice – juste un clou pour se raconter une histoire, celle qui nous ressemble.  
  
Tu travailles… tour à tour la porcelaine « plus fine », la céramique « plus satinée », et puis le papier mâché – des heures de travail avec le papier mâché, « plus grumeleux » : « Tu crois qu’on peut dire ça ? » –, la terre et le bronze. Qu’importe la matière, tes personnages sont tous de la même famille, Agnès. Bras croisés, genoux ou mains serrées, bonnet plaqué, mèche sage, crâne lisse, ils doutent, vacillent, se lancent, titubent, s’interrogent, rêvent et palpitent.   
  
En avoir un près de soi, c’est sentir une incroyable présence, une force discrète. 
  
Jane me regarde. 
 














Discreet forces

First there’s Jane. I know her well, she lives with me. She makes a slight movement, as if sweeping the wind: « Come on, come on, move along. » Simple, naked, a well-cut square. She’s all bronze, Jane. She displays a gentle indifference to the world.

What’s with all these newcomers to the gallery? Youngsters, dreamy eyes, chalky pastel cheeks. One bends over backwards, curled up in his wooden hideaway; the other sits for hours at the window… And the other sits in front of her Cabane de réflexion, clutching her head in her hands, staring at herself. What are they looking for, what are they thinking about?

Your world is soft, Agnès, soft and fuzzy. People appear… then disappear without a sound. Inside, outside, inside. You’ve had a lot of fun putting this little world in a box.


There are these two boys in front of the house with its polished walls, the tall one protecting the short one, the house protecting them. And this woman, in ceramic, pink cheekbones, in front of her Beach Cabin. She’s enjoying the fresh air, but she can retreat to her peninsula if she likes…

Three walls, a window, a frame – these little houses make you want to fall back into childhood. A whole village, with its mazes and viewpoints. You can hide, spy, sneak a peek….

It’s the first thing you paint, the gaze, at once limpid and blurred, precise and haggard, clear and sufficiently indeterminate to hang on it the expression that suits us, the state of the moment, sad, melancholy, joyful. A tour de force. In your Eyes – miniature series, you present just that. Follow the gaze…