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Intérieur / Flash/ Jour Quelque part, un instant.

Entourée de sculptures de toutes tailles, assise sur un tabouret haut, Agnès pose son pinceau et observe la petite femme en face d’elle. D’une main sûre de maman expérimentée, elle enlève quelques résidus de poussière sur l’épaule de sa création, lui masse un peu les épaules puis laisse glisser sa main jusqu’à s’en détacher. Dans le vide. Elle a sauté. Elle se raccroche au regard translucide de celle qu’elle vient de quitter. Elle lui sourit.

On s’approche de la petite femme posée sur le trépied pour mieux la voir. Vêtue d’un maillot et d’un bonnet de bain, le regard droit et clair, elle semble déjà loin des questions que l’on pourrait se poser, du qu’en-dira-t-on de son corps imparfait et de son crâne lisse.

Agnès pose son tablier et éteint la lumière.

Noir

Intérieur/ Jour Piscine

ça se prépare, ça bouge, ça s’échauffe.

Il faut chaud et humide. Le moindre chuchotement résonne.

C’est le grand jour. Pas pour elles. Elles, ça fait longtemps qu’elles sont comme elles sont et ne s’en soucient guère. C’est le public qui vit une révélation, qui pénètre dans l’antre du secret qu’elles délivrent, qui plonge dans leur regard pour vivre une histoire. Cette fois les nageuses se sont assurées d’être plus libres de leurs mouvements. Couches après couches de papier mâché pour prendre du muscle, maintes fois poncées, peintes, polies, puis repeintes, elles sont super entraînées.

Elles ont pris place autour du bassin. Ça pourrait être une fête un peu aussi, tant on sent l’élan qui les a fait être là et l’envie de s’amuser. Le bain, n’est-ce pas la promesse d’un corps léger, de jeux d’enfance et d’éclaboussures insouciantes ? ça rappelle ce temps où quelqu’un veillait.

Quatre d’entre elles sont prêtes à plonger, le regard au loin, elles semblent avoir dépasser le moment du doute. Mais peut-on vraiment sauter avec les jambes raides ? On y croit. On s’en fiche, on savoure le plaisir qu’elles prennent. Agnès leur a donné une telle force qu’il ne manque que le coup de sifflet.

Un peu plus loin, le regard est attiré par deux merveilles sur un drôle de podium. Elles joignent leurs mains, entre la prière et l’idée de plonger. Mais ça n’a pas l’air d’avoir tant d’importance que ça. Elles pourraient être partout ailleurs, presque nues mais sereines, championnes à égalité des marques du temps qui passe, belles dans cet instant unique et perpétuel qu’est la vie.

C’est une sacrée bande qui nous entoure en fait.

Un peu à l’écart, une autre beauté, assise sur un plongeoir, les mains tendues vers le vide comme pour s’y appuyer, rend le saut plus solennel et rappelle qu’un instant ne cesse jamais… qu’on a le choix toujours, et encore…

D’être entière, d’aimer les morceaux de soi que l’on aurait bien laissés au vestiaire. De sauter… ou d’être là, tout simplement, mais vraiment.

C’est ça qui les réunit toutes.

Comme si Agnès avait assemblé les fragments qui morcellent parfois les êtres et les rend incapables de s’aimer, d’oser être… et qu’elle en avait fait une équipe de baigneuses.

Dans toute cette agitation autour du bassin, on a à peine remarqué la bande de garçons. Eux portent un peignoir, la capuche leur recouvre la tête. Sont-ils plus frileux ? On se le demande… Ils ont l’air d’attendre, d’observer ce qu’il se passe.

Leur ont-elles pris la place ? Ils ont l’air plus sérieux, même un peu embêtés.

Ou alors ils sont inquiets… elles ont l’air tellement à l’aise, c’est intimidant…

L’idée de passage revient… de naissance… de regard… celui qui accompagne, qui permet de s’accrocher dans le vide, le loin, l’incertain.

Les hommes ont l’air de le chercher encore pour se découvrir et se concentrer sur ce qu’ils ont à faire.

Ah, mais voilà qu’elle revient…

Agnès entre, en tenue de maître-nageuse, souriante.

Les a t-elle laissés là pour les entraîner encore un peu ?

Ils sont tellement touchants, ça se comprend.

Elle appuie sur un interrupteur et le fond de la piscine s’éclaire.

Texte de Marjolaine Nonon